mardi 11 octobre 2016

Mobilité et (surtout) transport collectif - Expérience d'un voyageur américain en Europe centrale (2/3)

Caractérisée par une plus grande collectivisation des services qu'en Amérique du Nord, l'Europe centrale compte parmi les régions du globe les mieux garnies en transport collectif. Je suis allé voir par moi-même de quoi il en retourne, et suis revenu comblé, l'appareil photo rempli de nouvelles observations. Aussi, c'est toujours le fun de se promener dans des villes et les découvrir.  Cette série de billets relate sous forme de compte-rendu ces expériences que j'ai pu vivre en Allemagne, Autriche, Slovénie et Italie, au printemps 2015.
En lisant le texte, vous lisez un mot étrange en langue étrangère? Visitez le billet précédent pour un lexique compréhensif.

Slovénie/Slovenija

Ljubljana (/ʎu’bʎana/, « l'adorable »)
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Vue du quartier Bežigrad (« La cité de la porte d'entrée ») à partir du château Ljubljanski Grad.
En arrière plan : les Alpes kamniques et le massif du Grintovec.
La Slovénie est un tout petit pays (classé 153e pour sa superficie) peuplé de deux millions d'âmes à l'interface de l'Europe centrale et des Balkans. Avec une population urbaine de moins 50 %, le visage de la petite nation est fortement contrasté, métissé par son héritage slave, latin et germanique. Si une forme invraisemblable de paysannerie a encore cours aux confins du territoire, les villes ― tout aussi petites qu'elles soient ― sont ancrées dans la réalité des réseaux globaux, affichant encore les stigmates de la crise financière et immobilière de 2009. La population y est stable, voire légèrement décroissante, et la bulle immobilière éclatée y a laissé davantage de stigmates que la sécession relativement paisible de la Yougoslavie en 1991.

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Derrière ce mur, le trou béant d'un projet immobilier abandonné accueille les visiteurs à leur sortie de la gare.
La capitale de la Slovénie, Ljubljana, en est également la plus grande ville du haut de ses 275 000 habitants. Malgré tous ses défauts, la petite ville m'a conquis. Sa population est jeune, la culture y est vivante, foisonnante, les habitants sont préoccupés par l'aménagement de leur ville et connaissent bien l'architecture et l'urbanisme. Bref, chaque morceau de ville a quelque chose à raconter. Bien que modeste en taille, la ville a tout le clinquant et le prestige d'une capitale nationale.

La libéralisation des marchés post-rideau de fer et l'entrée dans l'Union Européenne en 2004 ont fait en sorte que les transports publics se sont assez radicalement privatisés au pays de Tito, exception faite de rares agences.
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Un autocar de marque... Otokar!

Mon amoureuse et moi sommes arrivés de la campagne slovène par autocar à l'Avtobusna postaja Ljubljana (/aoːtobusna postaja/, « Gare d'autobus de Ljubljana »), laquelle jouxte la gare ferroviaire. Nous étions partis de Trojane et nous avons voyagé avec la compagnie Izletnik Celje, un opérateur privé qui possède une ligne régionale entre Maribor, seconde ville du pays, et la capitale via Celje, où la compagnie est basée. 4,70€ ont suffi pour couvrir les 40 kilomètres qui séparaient le sentier de grande randonnée E6 et le centre-ville de Ljubljana.

La gare routière et ferroviaire de Ljubljana, ayant pignon sur rue sur le square Osvobodilne Trg, est presque entièrement extérieure, si ce n'est que d'un petit abri qui comprend quelques tabacs et échoppes, une billetterie et un comptoir de service à la clientèle. C'est une grande station, avec plus de 30 quais, chacun dédié à un corridor de service. Les autocars à impériale y sont plus rares qu'en Autriche; sur mes 6 visites à la gare, le seul autocar deux étages qu'il m'a été donné d'apercevoir opérait pour le compte de la Deutsche Bahn Intercity sur la ligne München (D) – Ljubljana (SLO) – Zagreb (HR). Outre les compagnies privées de transport interurbain, quelques lignes de banlieue du transporteur municipal se rabattent sur ce terminus.

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Des bollards préviennent l'accès au centre de la ville aux véhicules qui n'y ont pas affaire.
Les gares routière et ferroviaire sont situées tout juste au seuil de la vieille ville dont les rues sont, à toutes fins pratiques interdites à (la plupart de) la circulation automobile. L'accès au centre est restreint aux résidents, aux véhicules de service et aux véhicules d'urgence. Des bollards installés à chacune des entrées se rétractent seulement lorsque les boucles de détection sont activées, qu'un carte de radio-identification est balayée et qu'un NIP est correctement entré. On ne niaise pas avec la piétonnisation, ici.

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Un microbus électrique Kavalir sur le pont Tromostovje. Source : Tamara Deu, LPP
La Ljubljanski potniški promet (l'agence de transports collectifs, abbr. LPP) offre à l'intérieur de la zone piétonne un service de microbus électrique nommé Kavalir (« Gentilhomme ») sillonnant les rues et ruelles selon les besoins de ses utilisateurs. Les trois véhicules sont en service tous les jours de l'année, de 8 heures à 20 heures, transportant environ 350 passagers par jour. Les microbus fabriqués par la société italienne Esagono Energia peuvent transporter jusqu'à six personnes à la fois sur une distance de 80 kilomètres.

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Vue de la Dunajska Cesta vers Bežigrad.
Si les rues de la mignonne ville de la Renaissance sont pratiquement impossible à naviguer avec un véhicule motorisé, les grandes avenues des quartiers modernistes telles que la Dunajska Cesta (« Route Viennoise ») dans le quartier Bežigrad ont été designées pour accommoder un large flot de véhicules et de piétons.

Bien qu'on la sente en perte de terrain, la bagnole bénéficie d'un flagrant traitement royal à Ljubljana. Non seulement les voies de circulation sont démesurément larges dans la ville, le réseau routier supérieur semble hors de proportion pour une ville d'une telle taille. Une voie de ceinture de 30 kilomètres connecte les autoroutes aux différentes rocades et pénétrantes aux vitesses de circulation élevées.
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Véhicule importé paradoxal : ces petites boîtes étaient fabriquées en Serbie et vendues sous le nom de Zastava Koral dans la fédération yougoslave, mais commercialisées comme des Yugo dans la plupart des pays de l'Ouest. La présence d'un rétroviseur côté droit témoigne d'un modèle récent ou luxueux.
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La compagnie Petrol traite l'architecture de ses marquises avec soin.
Deux stations-
service voisines.
© DigitalGlobe
Le Trg Revolucije (depuis rebaptisé
Republike), autrefois terrain de
stationnement. Source : Nace Bizilj,
Marjan Ciglič, Musée national de
l'histoire contemporaine.
Les stations-service de la compagnie Petrol, jusqu'en 1996 propriété de l'État slovène, ont un design plutôt funky. Leur conception raffinée élève l'automobile au rang de royauté. En plus et pour une raison qui m'échappe, les postes d'essence sont systématiquement disposées en paires, de manière à ce que l'accès à une station ne se fasse que de par la voie de circulation du côté dont elle est riveraine. Avec toutes ces pompes à essence en double, pas de quoi tomber en panne, votre majesté.

L'offre en stationnement est assez généreuse au centre de la capitale comme dans sa périphérie. En plus de stationnements souterrains sous la plupart des buildings gouvernementaux et para-gouvernementaux, les terrains vagues sont souvent rentabilisés par la location d'espaces de stationnement. Même le monumental Trg Republike (« square de la République »), en dépit de sa charge sémantique et historique cruciale pour la jeune république, a été jusqu'à sa rénovation en 2014 un vulgaire terrain de stationnement. Son designer Edvard Ravnikar n'a pas vécu assez longtemps pour voir sa création redonnée aux humains. On y tient maintenant des joutes de hockey et des installations éphémères d'art public y siéent ponctuellement.
Trg Republike est de nouveau espace libre qui tient office de lieu de rassemblement pour les Slovènes.

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Les vélos sont interdits sur la Barjanska Cesta (« Route
Marécageuse »). Ce cycliste semble en faire peu de cas.
Le vélo est bien visible dans les rues (et les pistes cyclables, et les trottoirs, ...) de la menue capitale, si bien que l'usage d'un deux-roues est prohibé çà et là afin de prévenir les problèmes de cohabitation. C'est notamment le cas lorsque la voie de droite est réservée aux autobus et que des contraintes d'espace empêchent le marquage d'une voie cyclable sur la chaussée ou sur le trottoir. N'empêche, la signalisation n'est pas nécessairement respectée, et les trottoirs sont traversés de bicycles à pédale, à gaz et à batteries qui se faufilent à travers une foule parfois dense.

La bourgadette yougoslave a d'ailleurs implanté en 2011 un système de vélos en libre-service nommé BicikeLJ (prononcez «béciqu'hey»). La formule est si populaire qu'on compte plus d'une quarantaine de stations, espacées d'environ 300 mètres chacune. On retrouve même des stations au-delà de l'autoroute périphérique qui ceinture la ville. L'abonnement coûte 1 € par semaine ou 3 € par année et permet profiter à volonté d'un vélo une heure à la fois, toute l'année durant. Oui, l'abonnement coûte 1 € par semaine ou 3 € par année. Non, ce n'est pas une blague. Cessez de rire, ce n'est pas une blague.

Pour ces raisons et en dépit des incongruités (je qualifierais la Slovénie somme toute de douce et saugrenue), l'organisme Copenhagenize place la petite capitale au 13e rang des villes les plus favorables à la pratique du cyclisme sur la planète. Bien que les cyclistes puissent compter sur plus plus de 200 km de voies cyclables, le vélo n'occupe qu'une place marginale par rapport aux modes motorisés (ou même par rapport à la marche); il s'agit du mode privilégié pour un ménage sur 10, une proportion semblable à celle que l'on retrouve à Montréal.

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Un MAN NG312 comptant plus de 20 ans de services aux côtés
d'un Irisbus Iveco Citelis au stationnement incitatif Fužine.

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Un autobus articulé MAN SG220. Source : BurekBuster, CC-BY-SA 3.0
La Ljubljanski potniški promet (LPP) possède une vaste flotte d'autobus, vaste de par la variété en âge et en modèles. Lors de ma seule visite (qui a duré 3 jours), j'ai pu y dénombrer 25 spécimens différents fabriqués au courant des 2 dernières décennies. La plupart, sinon la totalité des véhicules récents fonctionnent au gaz naturel comprimé (méthane). 

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La carte Urbana, ainsi qu'une collection d'anciens jetons de la LPP.
Source : Mich973, CC-BY-SA 3.0
Sur la ligne 6 (la plus achalandée du réseau), il nous a même été donné d'emprunter un MAN SG220 du début de la décennie 1990.

Le seul paiement accepté à bord des véhicules de la Lubljanski potniški promet est la carte Urbana, une sorte de porte-monnaie électronique également accepté en rétribution pour la plupart des services municipaux de Ljubljana (parcomètres, BicikeLJ, bibliothèques municipales, ...). Cette carte a remplacé un ancien système de jetons de laiton et de plastique.
Un Urbanomat dans son habitat naturel.
Source : Ville de Ljubljana

Il est possible de recharger la carte Urbana dans la plupart des tabacs, kiosques à journaux et épiceries (!),  aux stations-service Petrol (!!), aux kiosques d'information touristique (!!!), à des bornes Urbanomat aux arrêts achalandés (!!!!) et en ligne (!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!1!!!...). La LPP exige un mince 1,20€ par personne par zone franchie. La carte permet de défrayer plusieurs passages simultanément, à condition de comprendre les instructions en slovène de la valideuse, sinon un « dve osebi, prosim » marmonné approximativement au chauffeur fonctionne aussi. Les contrôles de titres, très fréquents, se font à bord des véhicules par d'impassibles agents armés.

Les voies réservées aux autobus sont assez répandues, rassemblant même jusqu'à une vingtaine de lignes au centre-ville. Lors de notre visite, l'axe de transport collectif le plus important, la Slovenska Cesta, était en train d'être convertie en rue partagée réservée aux bus lors des jours de semaine.
La Slovenska Cesta est désormais partagée entre ses différents utilisateurs
Attribution : Amanda Slater, CC-BY-SA 3.0
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Des automotrices Siemens Desiro de la SŽ sont garées devant la brasserie Pivovarna Union.
La Slovenske Železnice (« Chemins de fer Slovènes ») est l'unique compagnie responsable du transport ferroviaire de passagers en Slovénie. Elle opère du matériel vieillissant ― et, disons-le, souvent « localement décoré » ―, parmi lequel du matériel tracté, mais également quelques automotrices électriques (dont des trains à grande vitesse italiens Pendolino) et surtout des automotrices à diésel.

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Sous sa parure urbaine, cette rame automotrice des années 70
est vêtue de couleurs et de logos de l'époque yougoslave.
Le réseau compte deux plaques tournantes, soit Ljubljana et Zidani most, pittoresque hameau aux confluents des gorges des rivières Sava et Savinja, 50 kilomètres à l'est de Ljubljana. C'est là que sont départagés les trains vers la Croatie, l'Autriche ou l'Hongrie. Entre ces deux gares majeures, la fréquence des trains est très élevée : aux heures de pointe, de 5 à 10 minutes séparent chaque passage d'un train dans une direction donnée.

La SŽ (prononcez « SG ») opère un sur le réseau de 1207 kilomètres de voies ferrés quatre classes de trains : les trains locaux et régionaux, les trains régionaux transfrontaliers, les trains intercités, ainsi que les trains à grande vitesse ICS, lesquels n'opèrent qu'entre Maribor et Koper via Ljubljana ― 3 des 5 villes les plus peuplées. À l'exception du corridor Ljubljana-Zidani most, la plupart des trains locaux et régionaux font leur dernière entrée en gare avant 23 heures. Les tarifs minimaux varient de 2 à 3 € pour rejoindre une gare de banlieue, et 25 € suffisent largement pour couvrir l'ensemble de la république. Un supplément est exigé pour tout trajet sur un train dont l'origine ou la destination est hors du pays.

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Cette rame automotrice fraîchement repeinte montre les couleurs standard
de la SŽ pour les éléments en service sur les liaisons régionales et locales
Outre la barrière de la langue, le système des trains slovènes est difficile à utiliser. Les billets doivent être soit achetés à des distributrices, soit à des préposés (après avoir attendu de longues minutes en file). S'il est aussi difficile d'obtenir l'horaire d'une liaison en version imprimée qu'en ligne, toute information concernant les lignes qui franchissent la frontière relève carrément du tabou. Les billets vers les destinations hors du pays doivent impérativement être achetés auprès de préposés désignés. Aucun horaire de train international n'est affiché, si ce n'est qu'au tableau des prochains départs. C'est à se demander si l'opacité qui entoure des liaisons internationales est un leg de l'époque socialiste.

Nous avons tenté de quitter la ville pour rejoindre la côte Adriatique en train, mais toute liaison ferroviaire vers l'ouest du pays était impossible en raison de travaux de réhabilitation d'urgence de la voie à la suite d'un glissement de terrain forçant l'arrêt complet du service.

Nous avons dû nous rabattre sur une navette de remplacement effectuée en autocar. Quelque 9 € nous ont menés à Koper dans un tapecul tout aussi rétro que le matériel roulant de la compagnie ferroviaire, aux sièges déchirés et aux fenêtres à l'étanchéité discutable.



Koper/Capodistria
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Des super porte-conteneurs vont et viennent de façon quasi-continue dans le havre du seul port de Slovénie.
Koper est une ville portuaire bilingue (slovène-italien) peuplée de 23 000 habitants sise sur la minuscule côte slovène depuis quelques millénaires seulement. La ville se divise en trois secteur distincts : une ville fortifiée étriquée qui fait pâle figure au centre d'une invraisemblable cité de Power Centres et de Big Box industrielles, où des stationnements infinis et cours d'entreposage rivalisent avec le charme vénitien de la fortification millénaire. Accrochée aux collines, lovée entre les vergers et les vignobles, une cité moderniste complète le cours d'histoire de l'urbanisme 101. Agrémentez de fruits de mer, d'agrumes et de pâtisseries slaves, arrosez de vin local et nappez de sauce tomate et vous obtenez un Koper bien frais.
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Power Centres et Big boxes industrielles rivalisent avec la cité millénaire.
La région est extrêmement bien drainée par les autoroutes et les routes nationales, située aux carrefour des chemins qui mènent vers l'Istrie croate, vers la capitale slovène et vers l'Italie, à 10 kilomètres de là.
« No future » scande une inscription sur le chantier abandonné d'un centre commercial.
Tous ces kilomètres linéaires et surfaciques de bitume n'ont pas pu empêcher la crise financière et immobilière d'atteindre la métropole de l'Istrie slovène, et les cicatrices sont encore très visibles dans le tissu urbain.

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Au seuil de la cité maritime fortifiée, des mers de stationnement.
La circulation automobile est strictement interdite dans la ville intra-muros sauf pour les détenteurs d'une vignette spéciale. Hors des murs, ce n'est pas l'espace pour se garer qui manque; une mer d'asphalte s'étend partout autour de la cité maritime.
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Du parking, même dans les petites allées.
Même si on n'y restreint la circulation qu'aux stricts besoins, la chignole s'immisce dans les ruelles et on s'y gare, même si ladite ruelle ne laisse passer que trois paires d'épaules à la fois.
L'un des gardiens de la salubrité de la fortification.
Le centre est charmant et invite à déambuler. Dans les venelles empreintes du flegmatique charme slovène, il fait bon se laisser surprendre au détour par une piazzetta et ses Okrepčevalnice (« troquets ») qui prêtent au flânage, ou même par un des gardiens de la salubrité des lieux ― vous savez? ceux qui chassent les porteurs de la peste.

La topographie du centre n'est pas adaptée à la pratique du patin à roues alignées et encore moins au vélo bien que quelques deux-roues s'y aventurent; les petites ruellettes aux pavés craquelés sont parsemées d'escaliers et se terminent souvent en cul-de-sac.

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La gare d'asphalte de Koper tombe en ruine, avec son terminus d'asphalte au milieu d'asphalte.
La gare de Koper, entouré d'un hypermarché de plusieurs étages, une piste de go-kart et un échangeur autoroutier, tombe en ruine ― puissant symbole de la déchéance des transports publics dans la région. La gare concentre une multitude de liaison urbaines, périurbaines, régionales, nationales et internationales, tant ferrées que routières. La filiale de la Deutsche Bahn Arriva, très présente sur la côte slovène, opère le réseau municipal de la ville portuaire, et la relie aux autres villes des environs.

De là, nous nous sommes dirigés vers Trieste (Trst, comme on dit ici), un périple à bord d'un autobus urbain rempli ― nous étions pourtant samedi. Le service est basé en Italie et comme à peu près tout dans ce pays, il est fermé le dimanche. Notre mouvement de moins de vingt kilomètres vers le nord nous a coûté 3,20 €.

Au bout de 45 interminables minutes, nous sommes débarqués à la majestueuse et marbrée gare Stazione di Trieste Centrale : Ciao Italia!

À venir : Maribor, Trieste et Vienne

jeudi 13 août 2015

Mobilité et (surtout) transport collectif - Expérience exploratoire d'un voyageur américain en Europe centrale (1/3)

Marquée par une plus grande collectivisation des services qu'en Amérique du Nord, l'Europe centrale compte parmi les régions du globe les mieux garnies en transport collectif.  Je suis allé voir par moi-même de quoi il en retourne, et suis revenu grandi d'une tonne d'expériences enrichissantes. Cette série de billets relate sous forme de compte-rendu ces nouvelles expériences que j'ai pu vivre en Allemagne, Autriche, Slovénie et Italie, au printemps dernier.

Lexique

Définition de quelques termes utilisés dans cette série de billets.
Bahn (allemand) : « Chemin ». Nom courant pour le chemin de fer. Version longue : Eisenbahn.
S-Bahn (all.) : « Chemin rapide ». Désignation courante pour les services ferroviaires de transport de passagers de type express régional (en Allemagne) ou de train de banlieue (en Autriche). Version longue : Schnellbahn.
U-Bahn (all.) : « Chemin souterrain ». Désignation courante pour les services ferroviaires de transport de passagers de type métro. Version longue : Untergrundbahn
Strassenbahn ou Bim (all.) : « Chemin de la rue ». Désignation courante pour les services ferroviaires de transport de passagers de type tram.
Bahnhof (all.) : « Gare ». 
Hauptbahnhof ou Hauptwache (all.) : « Gare principale », « gare des gares ». Dénomination pour les gares centrales des villes germanophones.
Haltestelle (all.) : « Lieu d'arrêt ».  
Železnice (/ʒɛlɛz’nitse/, slovène) : « Chemin de fer ».
Potniški promet (slo.) : « Transport de passagers ».
Postaja (slo.) : « Gare ».

Allemagne/Deutschland

Frankfurt am Main

Francfort
Le quartier de la gare de Francfort est foisonnant, même hors
des heures de pointe. Voyageurs y convergent à pied, en bus,
en tram, en vélo, en tram, en trains et en métro.

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Une automotrice de tête DBAG 430 en service sur le S8.
Remarquez le cycliste.

L'organisme Rhein-Main-Verkehrsverbund (RMV) coordonne un réseau de transport de passagers sur route comme sur rails dans la région métropolitaine de Francfort, dont la complexité et l'étendue dépasse l'entendement. Le hub principal de ce réseau se situe à Frankfurt Hauptbahnhof, d'où filent plus d'une vingtaine de lignes S-Bahn et régionales, en plus d'être desservie par les réseaux locaux d'autobus, de tram et d'U-Bahn. Par ailleurs, les lignes de S-Bahn deviennent souterraines dans le cœur de la ville, et servent de complément au service de métro.

C'est la division Regio AG de la Deutsche Bahn (DB, compagnie des chemins de fer fédéraux d'Allemagne) qui opère la plupart des lignes ferrées de la RMV.

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Une automotrice de queue DBAG 423 hors-service.
Nicht einsteigen : « pas d'embarquement ».
J'ai emprunté le S-Bahn S8 entre l'aéroport international Flughafen Frankfurt et le centre-ville de Francfort muni d'une Tageskarte (carte quotidienne), achetée à la distributrice pour 8,55 €. J'ai eu moins de difficulté que l'Américaine à laquelle j'ai offert mon aide; les distributrices automatisées sont pourtant multilingues. J'ai pu emprunter à l'aller comme au retour un convoi d'automotrices électriques récentes de type DBAG 430.

La gare centrale de Francfort a conservé en bonne partie son cachet d'origine (sauf pour la publicité, ostensible), et les lignes souterraines d'U-Bahn et de S-Bahn sont facile d'accès à partir des services régionaux, au niveau du sol.

Si la Hauptbahnhof agit comme un hub pour les transport régionaux, c'est la Hauptwache, quelques kilomètres à l'est, qui est le point focal des transports locaux (U-Bahn, tram et bus).

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La publicité à Frankfurt Hauptbahnhof est ostensible.


Autriche/Österreich

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L'ÖBB a investi des sommes considérables dans la rénovation de ses gares, notamment celle-ci, à Linz.
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Un paysage typique d'une bahnhof autrichienne rénovée :
un passage souterrain éclairé adéquatement relie tous les quais.
Pour adapter ses installations à une croissance ininterrompue du nombre de passagers transportés et à la multiplicité des besoins de ces usagers, la compagnie des chemins de fer fédéraux de l'Autriche Österreichisch Bundesbahn (ÖBB) a investi massivement dans la rénovation de chacune des gares du pays. Le plan de modernisation a culminé avec l'inauguration de la nouvelle Wien Hauptbahnhof de Vienne au début 2015. Même la plus petite des station de l'Autriche rurale est maintenant équipée de passages souterrains et d’ascenseurs entre les quais et l'édicule de la gare, de vélostations et de mobilier confortable.


Linz

Linz, capitale de l'État de l'Haute-Autriche, est la seconde plus grande agglomération de la République d'Autriche en terme de population. C'est une ville industrielle prospère installée sur les rives du Danube. Localisée au centre du pays, Linz est une plaque tournante importante du transport autrichien, autant pour les passagers que pour les marchandises. Qui dit plaque tournante dit mobilité; les vélos et les mobylettes électriques ont une place de choix à proximité des bahnhofs.

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Un stationnement de vélos de plusieurs centaines de places,
localisé directement sur le parvis de la gare.
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Quatre chargeurs de mobylettes électrique ont une
place de choix, tout près de la porte d'entrée de la gare.
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Un poteau d'arrêt de la compagnie privée Westbus, 
répondant aux normes autrichiennes et allemandes.

Les poteaux d'arrêt typique d'Autriche et d'Allemagne sont de couleur jaune et vert, surmontés d'un «H» (Haltestelle signifie « station d'arrêt »). À l'exception de Vienne, où le Wiener Linien possède son propre style de poteau d'arrêt, ces couleurs sont la norme.

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Les réseaux privés d'autobus opèrent
surtout des autocars Setra à impériale.
Tandis que PostBus (un réseau public de bus régionaux opéré conjointement par la Poste autrichienne et l'ÖBB) opère une flotte composée presque exclusivement de Mercedes-Benz Integro, la plupart des transporteurs privés possèdent des Setra à impériale. L'espace pour les jambes et la tête est limité, mais des boissons froides et des WC (toilettes) sont disponibles à bord. Le service Westbus m'a transporté entre Linz et Graz via Sankt Michael (22,00 € pour 220 km).



Graz

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Mariahilferstraße, au centre de Graz, est l'une des nombreuses rues piétonne
et cyclable de la capitale styrienne. En arrière-plan, le musée des beaux-arts Kunsthaus.
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Les taxis qui sillonnent la ville sont soit hybrides, soit électriques.
Graz, capitale de l'État de la Styrie ou Steyermark, est la troisième agglomération la plus peuplée de la République d'Autriche. La ville, fondée dans le haut-moyen-âge, est très compacte, mais sa banlieue est très étalée. Son climat est tempéré (il n'y gèle que trois mois par année) et on y voit peu de neige. Graz est une ville universitaire et créative réputée; on compte un étudiant pour six résidents, et près de 15% de la population active travaille dans l'économie de la culture et de la création. (source: graz.at)

La ville est aussi réputée haut-lieu de la mobilité durable. Son réseau de tram date du XIXe siècle, tandis que son réseau S-Bahn est âgé de moins de 10 ans. La ville compte plusieurs kilomètres de rues réservées au transport actif et collectif.
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Les trams circulent sur des rues dédiées ou partagées. Ici, deux trams
se croisent sur la rue Annen, dont une partie a été interdite à la
circulation automobile depuis l'enfouissement du terminus de la gare en 2013.
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Un tram construit en 1978 passe devant le bureau de poste central.
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Des véhicules sont tantôt décorés par des artistes locaux, tantôt entièrement recouverts de publicité.
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Des trams de série 200, construits entre 1963 et 1976.
Le réseau de tram de la cité médiévale s'étend sur plus de 66 kilomètres. La compagnie Holding Graz opère sur ce réseau un large éventail de matériel roulant - varié en âge plus qu'en modèles. Le plus vieux bim (mot d'argot pour désigner les trams) en service a plus de 50 ans d'âge, et les modèles à plancher haut ont été rétroadaptés pour inclure une section centrale à plancher bas. Parmi les modèles plus récents, on compte des éléments Bombardier Cityrunner et Stadler Variobahn.

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Des minibus Mercedes Sprinter City à plancher bas sillonnent la vieille ville.
L'accès au Altstadtbim (le tram de la vieille cité) est gratuit dans la zone touristique. J'ai donc pu utiliser sans frais un Variobahn tout neuf sur la ligne 6. Holding Graz opère 9 lignes de tram, 8 lignes de bus de nuit et 51 lignes de bus de jour. Parmi celles-ci, la ligne 30 relie le square Jakominiplatz au quartier de Geidorf en passant par les étroites rues de la vieille ville. Les planchers bas et larges portes du minibus facilitent l'accès à la vieille ville aux personnes à mobilité réduite.

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Jakominiplatz est le point de convergence du transport collectif à Graz. À gauche, un car du transporteur Meinfernbus.
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Un terminus à Griesplatz regroupe les services de bus régionaux et locaux.
Dans la voie de droite, un car régional opéré par la compagnie Graz Köflacher.
Un hub secondaire nouvellement enfoui sous Hauptbahnhof regroupe bon nombre de lignes, mais c'est le square Jakominiplatz qui est le point focal du transport collectif à Graz. Toutes les lignes de tram s'y arrêtent, en plus de 9 lignes de bus et certains bus interurbains. Les bus régionaux vont plutôt se rabattre au terminus du square Griesplatz et à Hauptbahnhof.

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Des vélos dans une petite rue de la vieille ville.
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Une piste cyclable ségréguée.
Des vélos, des vélos, des vélos ― partout. Il existe un réseau extrêmement élaboré de voies cyclables à Graz. La part modale du vélo y est extrêmement importante (16%) grâce à la clémence du climat, et cette part est plus élevée qu'à Munich ou Strasbourg et aussi importante qu'à Utrecht, villes cyclables reconnues. L'une des rares pistes cyclables en site propre qui m'ait été possible d'observer se situe sur le Ringstraße, près de la plus grande université grazoise. Le trafic y est suffisamment élevé pour justifier une telle ségrégation.
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« Sens unique, sauf pour les cyclistes »
La plupart des panneaux de signalisation routière de Graz sont munis d'un onglet Ausgenommen Radfahrer (« sans prendre en considération les cyclistes », litt.; vélos exceptés), particulièrement les sens uniques. Des voies cyclable à contresens de la circulation automobile garantissent un itinéraire sans détours aux cyclistes qui traversent la ville. J'ai pu emprunté plusieurs de ces voies de jour comme de soir, guidé dans la ville par mon amoureuse qui y réside depuis 4 ans. Je m'y suis toujours senti en sécurité; les différents usagers de la voie publique partagent de façon harmonieuse, et tous observent rigoureusement la signalisation.

Twizy
L'énergie solaire permet à la batterie d'une monoplace
Twizy du constructeur Renault d'être rechargée, devant la
compagnie d'électricité de Graz.

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Escalier muni de rampe près du sentier longeant la rivière Mur.
La plupart des escaliers autrichiens en milieu urbain incluent une rampe à l'usage des cyclistes et personnes poussant un carrosse lorsqu'un ascenseur n'est pas disponible.
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Une rame Siemens Desiro propulsée au diésel.
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Une rame Stadler GTW propulsée au diésel.
Le réseau de S-bahn est opéré par trois compagnies différentes : deux de celles-ci sont des opérateurs para-publics (l'ÖBB, fédérale, et la Steiermärkische Landesbahnen, abrévié STLB, provinciale) et l'autre privé (Graz-Köflacher Bahn GmbH, abrévié GKB). Le secteur public opère ses liaison avec des rames automotrices Bombardier Talent, Siemens Desiro et Stadler GTW, alimentées soit par l'électricité, soit par le diésel. Pour sa part, la GKB exploite une flotte de GTW, ainsi que des voitures multiniveaux tractées. Nous avons emprunté un Stadler de la compagnie GKB sur la ligne S6 jusqu'à son terminus de Wies-Eibiswald pour la somme de 12,60€ ― un trajet d'une heure (aïe!). De Wies, nous avons marché jusqu'à Trojane (Solvénie) à travers les Alpes en empruntant le sentier de grande randonnée E6.
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Une rame Talent de l'ÖBB fonctionnant au diésel.
sur la photo ci-dessus, une rame de Bombardier Talent de l'ÖBB opérant pour le compte de S-Bahn Steiermark est en attente d'une mise en service à la gare Hauptbahnhof de Brück an der Mur, dans la banlieue nord de Graz. Nous avons été transportés par ce véhicule sur la ligne S1 lors de notre retour à Graz de l'Italie pour la coquette somme de 10,10€ ― un trajet de 45 minutes (aïe!, bis).

À venir : la Slovénie, l'Italie et Vienne.