samedi 28 mars 2015

Les jardins publics comme interface : étude de référent pour le Quartier de l'Innovation de Montréal

Ce billet est tiré du blogue Interfaces, dans lequel l'équipe 1 (JEFX Urbanisme) du laboratoire-atelier URB-2514 de l'université de Montréal s'était vu attribuer comme mandat de proposer des référents dans le cadre d'un projet de requalification des interfaces du quartier Griffintown. Le but de l'exercice était de décrire un projet d'aménagement déjà réalisé pouvant s'implanter au sud-ouest du centre-ville de Montréal.
Image 1 : Le quartier Saint-Roch est situé au point de
convergence du réseau routier supérieur de la région de
Québec. Source : Ministère de l'Énergie et des
Ressources naturelles. Traitement : JEFX
Image 2 : Vue aérienne des zones démolies pour laisser
place à l'autoroute.  Source : Ministère des Ressources
 naturelles, de la Faune et des Parcs (1994) Traitement : JEFX
En 1989, le quartier Saint-Roch, dans la basse-ville de Québec, au centre de sa région urbaine (voir image 1), est à un point tournant. Plywood City, la cité aux bâtiments placardés, est un secteur mal famé, une tache sur la mention de patrimoine mondial que l'UNESCO vient d'attribuer à la vieille capitale. Les cicatrices laissées par l'autoroute de la Falaise ― jamais construite ― sont révélées par les quelque 300 démolitions qui ont eu lieu dans le quartier près de vingt ans auparavant (voir image 2). Dans ces espaces laissés vacants, des véhicules sont stationnés épars, les navetteurs profitant de la proximité des pôles d'emploi pour transférer de l'auto à la marche.

Nichés à même le coteau Sainte-Geneviève qui sépare la haute de la basse-ville, ces stationnements constituent une interface entre les quartiers populaires du nord de la ville et le pôle administratif et institutionnel. La Colline parlementaire est en pleine transformation, alors que la croissance de l'appareil étatique québécois y nécessite la construction de nouveaux bâtiments accueillant de plus en plus de fonctionnaires. Les stationnements constituent, en plus d'une interface physique, une interface sociale entre la basse-ville ouvrière, industrielle au nord et la haute-ville marchande, administrative, cossue au sud.

Image 4 : Par dessus l'autoroute enfouie, des stationnements
au seuil du centre-ville de Montréal. Source : JEFX
Image 5: Potager communautaire à même une sortie d'autoroute.
Source : Google
Vingt-cinq ans plus tard, à l'autre bout de l'autoroute 20, le quartier Griffintown de Montréal est en pleine ébullition. Sur son fronton nord s'étalent des îlots entièrement non-construits. Des stationnements (voir image 4) et des bretelles d'autoroutes y occupent aussi l'espace laissé libre par les vestiges de la construction en tranchée recouverte de l'autoroute Ville-Marie en 1974, en contrebas du centre-ville. Le milieu est fortement minéralisé, fait sur mesure pour l'automobile. Les murs des bâtiments qui bordent l'endroit sont souvent aveugles. Ici, le placardage n'est pas en contreplaqué, mais plutôt en brique et en béton. Une toute petite partie de verdure est occupée par des potagers communautaires (voir image 5).

Autrefois quartier ouvrier et industriel à l'ombre du centre-ville des affaires, Griffintown a des airs de ville fantôme lorsque l'École de technologie supérieure s'y installe et que les premiers projets de construction résidentielle se mettent en branle au tournant des années 2000. À ces chantiers viennent se greffer des projets de développement économique axé sur les nouvelles technologies et l'innovation. Le projet Quartier de l'innovation de Montréal « vise à intégrer les quatre volets essentiels à une société créative: le volet industriel, le volet formation et recherche, le volet urbain et le volet social et culturel » .

Image 6 : Évolution de l'îlot Sainte-Hélène (1970-2006).
Source : Le Soleil. Traitement : JEFX
La campagne électorale municipale de Québec en 1989 s'est jouée sur l'avenir des îlots Fleurie et Sainte-Hélène dans le quartier Saint-Roch, lorgnés par des promoteurs qui veulent y ériger un complexe de gratte-ciels. Contre toute attente, c'est le Rassemblement Populaire de Jean-Paul L'Allier qui est porté au pouvoir, défaisant le Progrès Civique ― le parti maître d'œuvre de la rénovation urbaine, au pouvoir depuis 1965, en faveur de l'érection de tours dans Saint-Roch.
Un vaste chantier de consultations populaire est mis en place. Les citoyens du quartier sont mécontents : l'îlot Fleurie (voir image 6 au centre, à droite) accueille en plus de stationnement une cinquantaine de parcelles potagères et des installations artistiques éphémères.
Faire un jardin pour tous là où on avait prévu ériger des tours : la mairie propose ainsi un projet qui va à l'encontre de la vision de ses prédécesseurs, fabriquer la ville en y solidifiant le « vide » plutôt que le « plein ».
Le jardin inauguré en 1993, construit au coût de 6 M$ est le pivot central d'un projet de redéploiement d'un centre-ville économique qui débute par l'embellissement. La stratégie de développement économique est axée sur l'enseignement supérieur, les nouvelles technologies et la diffusion de la culture. Des crédits d'impôt et de taxes sont mis en place comme mesure incitative d'implantation des entreprises.
L'opération réussit. La place publique est rapidement encadrée par le nouveau campus de l'Université du Québec (comprenant l'INRS, l'ÉNAP et les bureaux de la TÉLUQ), des entreprises en technologies de l'information et de la communication (logiciel, jeu vidéo, géomatique, communication graphique), des médias (presse, télé), des logements. L'université Laval installe son École des arts visuels à un jet de pierre du square, et le cégep Limoilou déménage sa Maison des Métiers d'Arts à proximité. Les stationnements des îlots avoisinants disparaissent peu à peu, enfouis sous les nouvelles constructions qui accueillent bureaux, salles de classe, ateliers et logements.
Image 7 : Le jardin Saint-Roch à l'heure du lunch au printemps. Source : Jean Cazes, Québec urbain
Image 8 : La fontaine du jardin Saint-Roch (1993).
Source : OPTION aménagement.
La place publique est au cœur d'un milieu propice à l'innovation en créant un microcosme de travailleurs, de chercheurs, d'étudiants, de créateurs et de résidents. Les environs du jardin Saint-Roch ne constituent plus aujourd'hui une interface de par leur caractère de vacuum-tampon entre deux zones bâties. Néanmoins, le jardin lui-même est aujourd'hui une interface sociale; les institutions et entreprises nouvellement installées dans le quartier ont attiré une population qui côtoie dans ce square les habitants de longue date du quartier.

Aussi, le square a gardé son caractère d'interface physique hérité de sa position en contrefort du coteau Sainte-Geneviève. Un jardin d'eau tire partie de la dénivellation (voir image 8), rappelant à la fois la falaise et le fleuve, éléments physiographiques à la base de la fondation de la ville de Québec.


Bibliographie

  • [s.a.] « Jardin Saint-Roch (Québec) », OPTION aménagement, http://www.optionamenagement.com/portfolio/jardin-saint-roch-quebec-2/, réf. du 3 février 2015.
  • GAUDREAU, V. « Retour sur le jardin qui a fait refleurir Saint-Roch », Le Soleil, http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/la-capitale/201308/23/01-4682711-retour-sur-le-jardin-qui-a-fait-refleurir-saint-roch.php, réf. du 1er février 2015
  • GOBEIL, G. et al Québec urbainhttp://www.quebecurbain.qc.ca/, réf. du 1er février 2015 
  • GOSSELIN COUILLARD, F. Saint-Roch, une histoire populairehttp://saint-roch.blogspot.ca/, réf. du 1er février 2015
  • GUÉRICOLAS, P. Saint-Roch: une renaissance originale, http://www.scom.ulaval.ca/Au.fil.des.evenements/2003/10.02/saintroch.html, réf. du 1er février 2015
  • Ministère des Ressources naturelles, de la Faune et des Parcs du Québec. 94813-064 [orthophotographie]. 1 : 40 000. Québec: Photocartothèque Québécoise, 1994
  • Ministère des Transports du Québec. Répertoire des autoroutes, http://www1.mtq.gouv.qc.ca/fr/repertoire_autoroute/autoroute.asp, réf. du 3 février 2015 
  • PLEAU, J.-P. et BOUCHARD, S.« La société », C'est fou, Radio-Canada, 31 janvier 2015, 53m15s [radio]
  • Quartier de l'innovation de Montréal. « Description du projet », Quartier de l'innovation de Montréalhttp://quartierinnovationmontreal.com/description-du-projet/, réf. du 4 février 2015